Ariés Paul . 2011, « Décroissance ou récession » Parangon /Vs , Editeur

Serge Latouche. P.35:

La décroissance est bien évidemment , une critique radicale du libéralisme, celui-ci entendu comme l’ensemble des valeurs qui sous-tend la société de consommation. Dans le projet politique de l’utopie concrète de la décroissance en huit R.

(Réévaluer, Re conceptualiser, Restructurer, Relocaliser, Redistribuer, Réduire, Réutiliser, Recycler).

Deux d’entre eux, réévaluer et redistribuer , actualisent tout particulièrement cette critique . Réévaluer, cela signifie, en effet, revoir les valeurs auxquelles nous croyons, sur lesquelles nous organisons notre vie, et changer celles qui conduisent au désastre . L’altruisme devrait prendre le pas sur l’égoïsme, la coopération effrénée, l’importance de la vie sociale sur la consommation illimitée , le local sur le global, l’autonomie sur l’hétéronomie, le raisonnable sur le rationnel, le relationnel sur le matériel, etc. Surtout, il s’agit de remettre en cause le prométhéisme de la modernité tel qu’exprimé par Descartes (l’homme maître et dominateur de la nature) ou Bacon (asservir la nature). Il s’agit tout simplement d’un changement de paradigme. Ni plus ni moins !

La décroissance renoue avec l’inspiration première du socialisme, poursuivie chez les penseurs indépendants comme Elisée Reclus ou Paul Lafargue. La décroissance retrouve à travers ses inspirateurs, Jacques Ellul et Ivan Illich, les forces critiques de précurseurs du socialisme contre l’industrialisation. Une relecture de ces penseurs comme William Morris, voire une réévaluation du luddisme , permettent de redonner sens à l’écologie politique telle qu’elle a été développée chez André Gorz ou Bernard Charbonneau .

L’éloge de la qualité des produits, le refus de la laideur, une vision poétique et esthétique de la vie sont probablement une nécessité pour redonner sens au projet communiste .

P.38:

Parler dés lors d’une bonne croissance ou d’une bonne accumulation du capital ,d’un bon développement – comme, par exemple une mythique »croissance mise au service d’une meilleure satisfaction des besoins sociaux

– c’est dire qu’il y a un bon capitalisme (et par exemple vert, ou soutenable/durable) avec une bonne exploitation. Pour sortir de la crise qui est inextricablement écologique et sociale, il faut sortir de cette logique d’accumulation sans fin du capital et de la subordination de l’essentiel des décisions à la logique du profit . C’est la raison pour laquelle, la gauche, sous peine de se renier, devrait se rallier sans réserve aux thèses de la croissance (1) .Nous n’avons plus le choix qu’entre éco socialisme ou barbarie, entre décroissance ou éco fascisme .

(1) « Le socialisme de l’avenir, selon Gorz, sera post-industrialiste et anti- productiviste ou ne sera pas ». Les Chemins du paradis, Paris, Galilée, 1983, P.23.

P.40:

La société de croissance qui est la nôtre sur trois ressorts principaux : La contrainte au travail, l’obligation de travailler trop et l’incitation à travailler davantage. La contrainte naît de la valorisation sociale du travail et du devoir de travailler qu’elle fait peser sur les citoyens, enfin l’incitation naît de la volonté de consommer toujours plus. Le phénomène est d’ailleurs circulaire et cumulatif. A trop travailler, on se réfugie faute de mieux dans la consomation, comme pour se consoler du sacrifice de temps libre excessif que nous impose cette société sacralisant le travail.
(2) Baptiste Mylondo, « Le salaire du labeur. Souffrance au travail et consolation consumériste »2009 site http://www.mouvements.info

 

Mais en honorant docilement notre devoir d’achat, nous alimentons la surproduction et entretenons de la sorte notre frustration. Nous voilà ainsi enfermés dans cette pison dorée qu’est la société de consommation.

P.74:

Si nous en sommes arrivés là en ce début de XXIe siècle , c’est parce que nous n’avons pas cru à la catastrophe en cours, quand bien même l’alerte avait été donnée en 1972 avec le rapport « Meadows du Club de Rome ». Nous sommes dans l’urgence depuis quarante ans, peu en sont toujours conscients, et certains demandent que l’on cesse de la prêcher aux citoyens et aux jeunes , sous prétexte que cette « idée noire » les démoraliserait, les paralyserait ! Outre que ce point de vue psychologisant est sujet à discussion, le problème est que nous n’avons pas trop le choix, tous les signaux sont au rouge . L’horloge économique tourne et ne nous attend pas , le « jour de dépassement » tombe chaque année de plus en plus tôt. L’humanité est confrontée à une aporie (Une aporie est une difficulté à résoudre un problème. Contradiction insoluble dans un raisonnement. Pour Aristote, c’est une question qui plonge le lecteur ou l’auditeur dans le doute tout en le poussant à trancher entre deux affirmations : « απορία, διαπορια », c’est-à-dire « contradiction, embarras »)

Il faudrait qu’elle ralentisse, mais elle doit agir sans tarder !

P.87:

L’effondrement systémique qui se produit en ce moment n’est pas problématique :il est une opportunité économique et politique , les deux champs se confondant depuis la Révolution industrielle. Ce que l’étymologie nous apprend de la crise est mis en pratique par le oligarques : elle crée de nouveaux possibles, à savoir essentiellement de nouveaux possibles, à savoir essentiellement de nouveaux marchés(pour simplifier : le capitalisme vert) et de nouveaux outils (l’implémentation de recettes fascistes, cf. Naomi Klein).

Les différentes raisons que nous avons évoquées s’engrènent les unes dans les autres , elles font système.Elles ne pourront faire valoir leurs droits que si le monde économique reprend la place qui était la sienne avant l’avènement de la bourgeoisie technocratique- la logistique de l’aventure culturelle-et si le politique reprend l’initiative, ce qui veut dire non seulement qu’il refuse de continuer à n’exister que de manière vicariante (en écologie, la vicariance se dit lorsque deux ou plusieurs taxons occupent une niche écologique semblable dans des zones géographiquement séparées).

A travers le spectacle économique, mais également qu’il cesse d’être une caste professionnalisée qui parvient à se reproduire sans créativité et vision.

La pathocratie biocidaire (ourdie par ceux que les spécialistes appellent, afin de les distinguer essentiellement des psychopathes , les sociopathes) doit céder la place à une hygiologie orwelliens : L’alliance schizophrénique entre parti intérieur et le parti extérieur doit céder la place à la vitalité des proles.

(Dans le roman de 1949, Nineteen Eighty-Four, de George Orwell, les prolétaires constituent la classe ouvrière de l’Océanie. Le mot prole est un raccourcissement du mot prolétarien).

P89:

Les thèses de la décroissance sont-elles récupérables ? Bien entendu qu’elles le sont, par définition, comme toutes les thèses d’ailleurs. Puisqu’une thèse est l’affirmation publique d’une idée très générale dont on souhaite convaincre les autres pour qu’ils l’adoptent à leur tour. Cette adoption par les autres implique une approbation, donc une transformation, à moins, bien entendu, d’imposer cette affirmation de force et dans tous ses aspects, de manière à interdire toute interprétation particulière , mais c’est alors ce par quoi se définit une pensée totalitaire .

P.105:

La décroissance n’est pas l’acceptation résignée de contraintes écologiques, mais bien la formulation raisonnée d’un idéal de société. A l’inverse, nous assistons aujourd’hui à un désarroi idéologique profond, que ce soit à gauche ou à droite . La fin proche du pétrole, l’accroissement des inégalités conduisent à entrevoir un possible effondrement de notre civilisation. Dés lors, le risque de mise en place de politiques fascistes, voire éco-fascistes sera fort , et à la décroissance choisie se substituera une récession subie. La décroissance propose d’anticiper dés maintenant ces changement afin d’initier une transition qui ne peut être autre chose que le résultat d’un choix démocratique, avec une forte adhésion et participation à nos idées.

P.143 Les hérétiques comme les « apostolici » qui vers le XIIIe siècle parcouraient le nord de l’Italie, en annonçant la nouvelle ère, voulaient eux aussi une pauvreté volontaire et une vie pure. Un tel retour serait regrettable, car aujourd’hui il ne s’agit pas, n’en déplaise à certains « décroissants purs » , d’être ou de ne pas être « pur » ni de chercher une transcendance ou une ascèse, mais de résoudre les problèmes très concrets qui menacent la vis. La figure du prophète du malheur est absolument détestable et inutile, celui qui se promène en annonçant le désastre, la fin du monde, est aujourd’hui assimilé à l’écologiste décroissant, donneur de leçons, et il ne s’agit pas là d’un problème de communication, ni d’information, ni de prise de conscience. La tentation narcissique de n’être pas contaminé par le monde, de ne pas « participer au système » est ce qu’il faut commencer à oublier, si l’on veut que les critiques et les propositions, théoriques et pratiques, de la croissance et du développement alternatif, puissent jouer un rôle historique qui doit être le leur.

Les hypothèses dites du « développement durable » sont condamnées à l’échec, car au-delà de leur plus ou moins bon sens, elles gardent au centre de leur dispositif, la même structure de rapport entre une humanité sujet et un monde objet.