Razmig keucheyan «Les besoins artificiels Comment sortir du consumérisme»

 

Zones 09 2019

En France, plusieurs associations regroupées en collectif revendiquent l’allongement de la garantie (ou devoir de maintenance) Les amis de la terre, soutenus notamment par France Nature Environnement , halte à l’obsolescence programmée (HOP) et le réseau Action Climat , ont lancé une pétition réclamant l’extension de la garantie à dix ans .

Depuis la loi consommation de 2014, dite «Loi Hamon», le droit français fixe à deux ans sa durée minimale, conformément à une directive européenne de 1999. Auparavant, rien n’empêchait les constructeurs de la fixer par exemple à un an ou même six mois.

 

Le passage à dix ans – ou davantage- nous ferait basculer dans un autre monde. Il bouleverserait la production et la consommation des marchandises. Combinée à d’autres mesures, cette rupture du renouvellement incessant des ferait advenir une société plus soutenable sur le plan environnement.

 

Si une entreprise peut mettre un bien sur le marché et tirer bénéfice de sa vente, c’est qu’elle possède sur lui des droits exclusifs. De ceux-ci découlent en dernière instance les profits des capitalistes. Le mettre en question, comme la fait le mouvement ouvrier depuis ces origines, ouvrirait la voie à une autre organisation de l’économie.

Rallonger la durée de disponibilité des pièces détachées et ressuscité le secteur de la réparation ne sert à rien si les marchandises ne sont pas réparables, c’est à dire conçues pour pouvoir l’être . Or c’est de moins en moins le cas. Coller les composants ou les visser : ce simple choix entrave ou facilite le remplacement d’une pièce. Pour les structures dites « monoblocs », d’un seul tenant l’idées de composant disparaît : il n’y en a plus qu’un seul, à prendre ou à jeter, comme le montre l’exemple des phares automobiles. Les fabricants n’on nul besoin de pratiquer l’obsolescence programmée stricto sensu. Il leur suffit de concevoir des marchandises impossibles à réparer. C’est beaucoup plus simple et juridiquement moins risqué.

L’allongement de la garantie fournirait un levier pour la relocalisation de la production, sans laquelle la transition écologique n’a aucune chance d’aboutir. En effet, les produits à bas coût en provenance de l’autre bout du monde, à grand renfort d’émission de gaz à effet de serre, pourront difficilement satisfaire aux exigences d’une garantie décennale. On l’oublie souvent : la mondialisation marchande a pour corolaire une dégradation de la qualité des biens, ainsi que l’absence de garantie pour beaucoup d’entre eux. S’ils devaient couvrir leurs produits durant dix les industriels devraient contraindre leurs fournisseurs, nombreux et géographiquement dispersés, à leur procurer des composants de qualité.

 

 

Enfin, l’allongement de la garantie doit s’accompagner de l’affichage du «prix d’usage» qui , selon la loi Hamon , désigne « la valeur marchande associée à l’usage du service rendu par un bien meuble , et non la propriété de ce bien » . Le gouvernement de l’époque a confié cette expérimentation au bon vouloir des industriels, sans la rendre obligatoire.

 

Résultat : personne n’a entendu parler du prix d’usage. Il s’agit pourtant d’un outil étonnant. Le prix affiché d’un bien peut être modique, mais son prix d’usage élevé. Les deux varient même souvent en proportion inverse. Un prix bas masque vraisemblablement la piètre qualité des composants, et /ou – cela va généralement de pair – les conditions de travail désastreuses des producteurs. Le prix d’usage inclut les coûts cachés : ceux de la durée de vie limitée qui contraindra le consommateur à renouveler le produit à brève échéance. L’affichage d’un tel indicateur pourrait inciter les clients à payer plus cher à l’achat afin de s’épargner des frais élevés pendant le cycle de vie de l’objet.

 

 

 

Le calcul du prix d’usage dépend de la durée de vie «normale» du bien. Toute marchandise possède une longévité attendue, estimée à la conception et entrée dans nos représentations. Nous attendons qu’un réfrigérateur fonctionne plus longtemps qu’un smartphone – renouvelé en moyenne tous les vingt mois. Plus le produit est durable, plus son prix d’usage baisse, puisque le coût total de l’utilisation se divise par un plus grand nombre d’années. D’autres critères entrent en ligne de compte. Si une voiture vieillissante occasionne des frais de réparation de plus en plus élevés, le coût d’usage explosera.

 

L’affichage du prix d’usage doit s’accompagner d’une information précise portant sur l’ensemble du processus de production. Un nouveau type d’étiquette serait rendu obligatoire , indiquant les conditions de travail qui ont présidé à la production : salaires , temps de travail, respect de l’égalité femmes- hommes , etc ….On renouerait alors avec la tradition des labels syndicaux, qui attestaient jadis la présence de syndicats dans les usines ou les magasins . Lorsqu’il s’agit d’un bien durable, l’étiquette précisera également le coût estimé de son usage dans le temps , un indicateur qui renseigne sur la qualité des matériaux, et donc sur la soutenabilité environnementale .

 

A terme, la logique d’affichage du prix d’usage prépare les consciences à un basculement plus fondamental, que certains appellent l’économie de la fonctionnalité: on vend des usages, et non plus des objets. Je n’achète plus une voiture, mais du temps de conduite. En d’autres termes, il n’y a plus de transfert de propriété. C’est le principe de la location, généralisé à l’économie tout entière. La valeur d’usage devient alors hégémonique par rapport à la valeur d’échange.

 

 

 

Pour rendre concevable une transition de ce genre, il faudra encore affronter les forces sociales qui soutiennent la valeur d’échange. Elles sont puissantes. Dans cette perspective, l’économie de la fonctionnalité doit s’accompagner d’un projet politique à même de mobiliser de larges secteurs sociaux et , en premier lieu, les classes populaires.

 

La défense de la valeur d’usage contre la propriété privé forme le socle commun du socialisme et de l’écologie politique ; elle en constituera sans nul doute le point de départ.

 

Lien :

Loi du 17 mars 2014 relative à la consommation , chapitre II , section 1 , article 4 http://www.legifrance.gouv.fr

Signez la pétition «garantie dix ans maintenant», les Amis de la Terre , 24 10 2016, http://www.amisdelaterre.org

loi consommation de 2014 , dite «loi Hamon»