Gianinazzi Willy. 2019. «André Gorz une vie» La découverte , Editeur (14)

P.235:

1972 est l’année de toutes les alertes «celle de la prise de conscience planétaire , y voit l’an 1 de l’ère écologique».

A distance de quelques mois paraissent deux rapports d’experts très alarmants, que Gorz épluche en détail. Le premier, A Blueprint for Survival , dirigé par Goldsmith , est publié en Angleterre dans le numéro de Janvier de The Ecologist ; la version française , Changer ou disparaître , sort en volume aussitôt. Le second The Limits to Growth ( « les limites de la croissance ») , à été commandité par les patrons et financiers du Club de Rome . Traduit en français sous le titre Halte à la croissance ?

Il a un retentissement mondial . En simulant le développement planétaire pour les décennies à venir , ce rapport conclut à l’effondrement du système si rien n’est fait rapidement .

P.236:

Début juin 1972 , l’ONU convoque à Stockholm la première conférence mondiale sur l’environnement qui adopte le concept d’ « éco développement » forgé dans une optique planificatrice par Ignacy Sachs (celui , libéral , de développement durable en sera un avatar abâtardi).

P.242:

Avant tout, nous travaillons beaucoup moins puisque les produits beaucoup plus durables seront fabriqués en quantités plus petites.

La course au rendement, le travail abrutissant et affolant, les «cadences infernales» n’aurons plus de raison d’être . la semaine de vingt heures deviendra possible et «l’épanouissement intellectuel et culturel» (Mansholt) de chacun pourra et même devra devenir prioritaire, puisque la production de bien superflus et à usure rapide sera bannie. (…) Sicco Mansholt, du reste , parle expressément du «minimum vital assuré à tous», et c’est logique: le droit à un revenu ne pourra plus être lié à l’occupation d’un emploi (Le Nouvel Observateur 10 avril 1972).

Le dépassement du capitalisme reste en effet d’actualité à l’heure de la crise écologique.

Non pas que le système n’ait pas de ressources pour agir. Mais s’il est tout à fait capable d’intégrer les contraintes écologiques, c’est à son seul profil et pour maintenir, voire renforcer sa domination sur la nature et sur la société . La prise en compte de ces contraintes bute sur une fatalité , mais offre au capitalisme deux solutions.

P.243:

Elle à pour effet inévitable d’inhiber la croissance en pesant sur les coûts de production et sur le taux de profit, avec les conséquences sociales catastrophique que l’ont a dites- la crise énergétique qui bat son plein en 1974 entraîne ce genre de contrecoup. des mesures autoritaires et antisociales en vue d’imposer l’austérité sont alors à craindre . Mais du côté des solutions – envisagées par le Club de Rome -, cette prise en compte de la crise donnera naissance à ce que plus tard on appellera le capitalisme Vert , que Bosquet analyse comme la mainmise des groupes monopolistes sur les nouvelles activités de dépollution et de recyclage ; ce qui , prévoit, il induira, dans une direction productiviste inchangée, une relance du cycle d’accumulation fondé sur la capitalisation de la Nature elle-même, sur la subsomption par le capital de la totalité des facteurs et des conditions permettant la vie sur terre. La boucle sera alors bouclée ; la loi du profit qui envahi les dernières enclaves de la nature.

P254:

Au départ, la subdivision des tâches, comme le rappelait Marglin , avait pour but principal la domination ; mais uns fois instaurée, elle a entrainé la mécanisation, l’automation et , de façon irréversible, l’éclatement de la production en activités, au savoir spécialisé, qui ne valent que combinées. Plus que jamais, le «contrôle ouvrier» sur la production s’avère impossible ; comme il est arrivé aux conseils italiens et aux ouvrier de Lip, il ne peut que déchoir en simple gestion de la force de travail. Il faut s’y résoudre : le pouvoir ouvrier périclite à mesure que le capitalisme se complexifie par l’incorporation du savoir dans les machines (automatiques et cybernétique) et par la division du travail (micro-et macroéconomique).

Dans ces conditions, une autocritique s’impose : au bout du compte admet Gorz , l’hypothèse d’un capitalisme arrivé au stade ultime, celui qui promeut la figure de l’ouvrier polyvalent maîtrisant l’ensemble de la production, n’a été qu’une illusion «anarcho-syndicaliste» nourrie par Marx dans les Grundrisse et, à sa suite, par les théoriciens de la nouvelle classe ouvrière aux côtés desquels il reconnaît s’être rangé au milieu des années 1960 . Les capacités de l’ouvrier demeurent bridées par un travail parcellisé, quelconque et routinier. Les implications de cette constatation sont énormes. car si , dans un tel système complexe, « la classe qui , collectivement , développe et met en œuvre la totalité des forces productives, est incapable de s’approprier cette totalité, si elle «est devenue structurellement incapable de se rendre maîtresse de la production et de la société» (1)non seulement l’autogestion est impossible, mais la classe ouvrière n’est plus le sujet de la transformation sociale et il n’y a plus grand-chose à espérer de la lutte au sein du travail . Cela se confirme dans les comportements : les techniciens sont happés dans les stratégies managériales de l’investissement personnel et les OS ne se reconnaissent ni dans le travail «sans qualité» ni dans la classe ouvrière .

L’inversion par rapport à l’idée marxienne du prolétariat est complète. Non seulement le nouveau prolétariat postindustriel ne trouve plus dans le travail social la source de son pouvoir possible : il y voit la réalité du pouvoir des appareils et de son propre non-pouvoir. Non seulement il n’est plus le sujet possible du travail social , par la négation d’un travail perçu comme négation.

  • Les adieux d’André Gorz au prolétariat (entretien avec Michel Contat et François George).

André Gorz, lettre à D. P. 44. «la théorie menace toujours de devenir un carcan qui interdit de percevoir la complexité mouvante du Réel».

P.308:

Ponos, poiésis et praxis.

Dans la Crèce antique , ou l’on peut répartir les activités humaines en trois catégories étanches (pronos, poésis , praxis), il est cantonné à la sphère privée. Pratiqué par les esclaves, il est corvée par les femmes, besogne, dans tous les cas , associé au ponos à la pénibilité d’ou le substantif «travail» dérivé de l’instrument de torture du Moyen Age, le Tripalium, destiné aux récalcitrants. La deuxième catégorie correspond à la poésis , c’est à dire à l’activité «créatrice» des artisans qui ne travaillent pas mais oeuvrent en mêlant l’utile au beau, ce qui est déjà une façon de s’élever au-dessus de la nécessité.

Ponos et poéisis sont dévalorisés parce qu’ils désertent la seule spère qui compte , la sphère publique ou s’épanouit la praxis, c’est-à-dire ou les hommes libres s’occupent des affaires de la Cité et ont le temps de s’adonner à la skholé (l’otium des Latins), soit à l’étude ,au loisir et à la contemplation. En transposant le catégories péripatéticiennes , là est le «faire» instrumental assujetti à la nécessité matérielle, ici «l’agir» autonome jouissant de la liberté. ….. se distinguant des société de travail, la «polis» athénienne est le prototype occidental de la «société de culture» à laquelle Gorz aspire pour l’ensemble des humains . (2)

(2) André Gorz, Misères du présent, richesse du possible op.cit,p.131